Le mot de la patronne
Cinq ans. C'est apparemment le temps qu'il faut pour se remettre d'avoir mis un enfant au monde. C'est en tout cas depuis ce temps-là que le dénommé Kamuirobotics et moi-même avons arrêté notre podcast “BD sans modération”. Il était trop chronophage pour des gens occupés à comparer les vitesses de tétines ou à mixer des trucs au Babycook. La bande dessinée ne m'a jamais quittée bien sûr. Mais maintenant que je ne vis plus dans un état de fatigue permanent, elle me submerge à nouveau. J’en parle beaucoup dans mon boulot et j'ai mené une sympathique opération “calendrier de l'avent” sur Twitch. Je constate que dans cette discipline qu'on veut à tout prix cantonner à une simple niche, l’actu est toujours vive : en termes de volume de sorties, de mutations artistiques, de revendications sociales. Et comme les réseaux sociaux se délitent, je ne sais pas bien où le montrer si ce n'est à travers cette modeste tentative. Me voilà donc, à l'orée du 52e Festival de la BD d'Angoulême - dont on fera rapidement le bilan (et on verra ce que donnent mes pronostics). Bienvenue !
Amandine
Les news
En parlant d’Angoulême, Lucie Servin a mis un sacré pavé dans la mare dans “L’Humanité” en décortiquant la crise que le Festival traverse depuis quelques années. Partenariats douteux, offre artistique amoindrie, environnement de travail toxique… tout y est. Une lecture indispensable. La réponse du FIBD, au max de son empathie, vaut son pesant de cacahuètes.
Tout aussi incontournable, cette longue enquête de “Vulture” sur Neil Gaiman, auteur du culte “Sandman”, qu’on a parcourue avec horreur. Journalism's not dead, baby.
Toujours au sujet de Gaiman, Glen Weldon (l'un des chroniqueurs de mon podcast préféré, “Pop Culture Happy Hour”) se demande sur le site de NPR comment séparer l'homme de l'artiste. L’éditeur Dark Horse a décidé d’en passer par la case “cancel”.
Triste commémoration ce mois-ci : les dix ans de l'attentat contre “Charlie Hebdo”. Depuis, la situation des caricaturistes est loin de s'être améliorée, comme en témoigne Aurel dans “Charlie quand ça leur chante” (Futuropolis). “Le Monde” fait un passionnant point d'étape sur le dessin de presse ici. J'ai aussi bien aimé l'article de l'inénarrable Jérôme Lachasse sur le sujet, ainsi que la riche table ronde entre rescapés organisée par “Libération”.
“Au-dedans” de Will McPhail (traduit par Basile Béguerie, éd. 404 Graphic) a remporté le prix BD Fnac/France Inter. On parlait ici de ce gracieux plaidoyer anti-small talk signé par un régulier du “New Yorker”. “Racines” de Lou Lubie (Delcourt) a reçu le Prix FranceInfo 2025 de la bande dessinée d’actualité et de reportage, émouvante chronique du racisme et sexisme à travers le parcours d'une jeune femme d'origine créole en plein parcours du combattant pour trouver un coiffeur.
Alison Bechdel, Catherine Meurisse et Anouk Ricard : trois femmes sont en lice pour le Grand Prix d’Angoulême, à la suite de queen Posy Simmonds. On n'aimerait pas être à la place des auteurs votants qui doivent les départager. Sans vouloir influencer personne, le meilleur tract électoral est en faveur d'Anouk Ricard.
Par ailleurs, Alison Bechdel a fait un reel avec une chapka sur la tête (c'est une info en soi).
Grande tristesse en apprenant la disparition à 47 ans de Patricia Lyfoung, autrice de “La Rose écarlate”, série culte publiée chez Delcourt. Parmi la masse d'hommages émus, j'aime particulièrement celui du dessinateur Vincent Mallié.
Arrivées à leur propre échéance, les formidables et par ailleurs strasbourgeoises éditions 2024 (à qui l'on doit entre autres la série “Tulipe” de Sophie Guerrive ou les livres en 3D de Matthias Picard) deviennent les éditions 2042. On avait fait le bilan sur cette folle aventure à la rentrée dernière.
Marie Klock de “Libération” est allée rendre visite à Toronto à ce génie de la BD qu'est Michael Deforge, ex de la série “Adventure Time” qui a signé les expérimentaux “Brat” et “Un visage familier” (Atrabile). Si vous n'avez jamais vu un personnage s'aplatir jusqu'à devenir ligne, ça se passe chez lui.
Sur mon radar
Ça ne nous rajeunit pas : le culte “Zaï zaï zaï zaï” fête ses dix ans cette année. 6 Pieds sous Terre promet une édition spéciale et limitée au mois de mai, augmentée par “la présence de 12 auteurs et autrices ainsi que les mots de quelques personnalités durablement marquées par le best-seller de Fabcaro”.
Dernières impressions
“Moi, je - la quarantaine”, par Aude Picault (Dargaud)
Sans doute l'un des livres les plus importants de la rentrée de janvier, où la très douée Aude Picault montre à quel point les femmes croulent, au quotidien, sous la charge mentale. J'y pense tous les matins en enclenchant ma bouilloire et ma routine.
“Shin Zero”, par Mathieu Bablet et Guillaume Singelin (Label 619 / Rue de Sèvres)
Où les sentai (les héros en collants colorés type Bioman) ont été “ubérisés”. Loin de la parodie, les rois de la BD de science-fiction Mathieu Bablet et Guillaume Singelin en tirent une chronique du spleen de la jeunesse dans un monde où il n'y a plus rien à espérer. Et, ça ne gâche rien, le dessin tue, l'utilisation des couleurs est maligne et le scénario passe le test de Bechdel.
“Journal inquiet d'Istanbul”, par Ersin Karabulut (Dargaud)
Le dessinateur turc Ersin Karabulut poursuit son œuvre autobiographique avec beaucoup de drôlerie. Après avoir raconté comment lui est venu sa vocation de dessinateur, il revient sur la création du journal satirique “Uykusuz” dans un pays pas super open à la liberté d’expression. Où l’on se rappelle ce que veut dire “être Charlie”.
“Inlandsis Inlandsis”, par Benjamin Adam (Dargaud)
Une réflexion sur la mémoire à travers trois fils narratifs : l'histoire de l'exploration polaire, le monde tel qu'il pourrait être en 2046 et le rôle de l'artiste. S'il faut un argument supplémentaire pour plonger dans ce livre d’une grande intelligence, sachez que dans le futur, il y a apparemment des “écoles publiques et religieuses Vincent Bolloré”.
“Les Jardins invisibles”, par Alfred (Delcourt)
Alfred, le plus italien des dessinateurs français, ose enfin l'autobiographie avec ce très joli recueil autour des moments de bascule. On serait pas mieux dans un palazzo ?
“Momm”, par Catherin (Pow Pow)
Il y a un mouchoir scotché à la fin de cet album et ce n'est pas superflu. La Québécoise Catherin nous raconte comment une jeune fille accompagne jusqu’au bout sa mère gravement malade, dans un univers weirdo-mignon d’une folle originalité.
“Comment éduquer ses enfants”, par Eric Salch (Les Rêveurs)
Vous ne saviez pas que vous aviez besoin du “Guide du mauvais père” de Guy Delisle revu et corrigé façon Reiser. Un anti-manuel d'éducation trash et jouissif qui se finit toujours sur la même chute (littérale).
Shin Zero acheté pour ma part. Je le le garde pour le lire lors de mon voyage imminent vers le Japon 😍
Merci pour ce retour de BDSM !
Trop bien ce nouveau format !